Comment vivre ensemble, sans faux-semblant, sans démission, malgré la violence de certains enfants ? 
Institutions et apprentissages dans une classe de perfectionnement.

 

7 septembre, premier contact

Je suis nommée dans une classe de Perfectionnement à Cognac. J'ai 15 élèves et c'est mon premier poste. C'est moi qui l'ai demandé et je ressens un mélange de plaisir mais aussi d'appréhension quand j'arrive dans la classe.

Les élèves m'ont été présentés comme difficiles, ils ont connu l'an passé trois maîtres différents, dont un, démissionnaire après deux semaines.

Nous entrons. Je laisse chaque élève choisir sa place tout en m'attendant à une agitation qui ne vient pas. La première partie de la matinée sera consacrée à la décoration de la classe avec des posters que j'ai apportés. Toujours dans la même journée, je présente l'emploi du temps et les institutions que j'ai décidé de mettre en place. Au départ, les ceintures de comportement, l'affichage des lois, le Conseil et le Quoi de neuf.

Les nouveaux élèves sont ensemble, les anciens se sont regroupés aux mêmes tables, par quatre.

20 septembre, la classe comme un film d'épouvante ?

Je retrouve ma classe après une semaine d'absence, je les avais prévenus que je faisais un stage école. L'ambiance a changé, ils sont très agités. Teddy parle fort, Virginie pousse des hurlements quand elle prend la parole, Jonathan imite le chat de façon stridente à intervalles réguliers.

Les retours au calme que j'impose occupent autant de temps que le travail lui-même. Ils ont sûrement été perturbés par mon absence et tout va rentrer dans l'ordre rapidement. J'essaie en tout cas de m'en persuader quand je les quitte à midi, un peu à cran.

L’après-midi, nous partons en bus pour la piscine. Le trajet est court, mais les agités du matin se sont regroupés dans le fond du bus et hurlent des chansons paillardes. Je ne parviens pas à les faire taire. Ces dix minutes de trajet deviennent insupportables, j'ai hâte d'arriver à la piscine. J'accepte le groupe des non-nageurs, d'autant plus facilement que Teddy, Virginie, Angelito et Sébastien savent nager. Ma collègue regrettera son choix, ils sont insupportables. Je souris.

Leur excitation, loin d'avoir été canalisée par la piscine, va crescendo dans le bus pendant le retour. La remise au travail est laborieuse. Je m'adresse à tous : "Il est hors de question qu'on se mette au travail dans un tel bruit."

Leur réponse ne tarde pas : cris, miaulements, trousses et objets frappés sur les tables. Ambiance agitée par la suite mais calme pendant le bilan et même, soleil pour tous, ça va ! (ben voyons !)

Les élèves quittent la classe dans le calme. Je reste à mon bureau, consternée et déçue Quel changement ! Qu'est-ce qu'il peut bien se passer ? Le remplacement, mon absence, la piscine ?

Le lendemain, même agitation dès 8h30. Le retour au calme complet est impossible, je me contenterai d'une position assise pour chacun et d'élèves qui parlent fort.

J'ai préparé dans l'emploi du temps de la journée une activité : création de poèmes. Nous cherchons ensemble des mots qui riment avec les prénoms. Le cadre proposé comme exemple est : sur la tête de Dorian, il y a une fausse dent. Tous les prénoms sont inscrits au tableau, et bien évidemment, j'ai droit à tout le registre des parties du corps les plus drôles à nommer.

J'ai l'impression d'être dans un film d'épouvante. On dirait que chaque élève devient fou. Teddy et Angelito montés sur les tables invitent les autres à en faire autant. Si je m'approche pour les faire descendre, ils courent et sautent de table en table. Les autres grands les rejoignent et les petits les encouragent en frappant des mains.

Je me tiens près de la porte. J'étouffe, j'ai le cœur qui bat à toute allure. Je sais n'avoir qu'une fraction de seconde pour me décider. Pleurer, hurler, fuir ? J'opte pour une grande inspiration et annonce d'une voix que je ne reconnais pas : "Ecoutez-moi bien, il y a des jours où l'on étouffe dans certains lieux. Aujourd’hui, maintenant, c’est dans la classe que l’on étouffe. Alors on sort tous en courant jusqu'au terrain de foot."

Seule sur mon île

Arrivée sur le terrain, je joue à la puce avec eux (jeu de poursuite) pour éviter d'exploser, je m'aperçois que je ris fort, je crie en les appelant. J'ai l'impression que si j'arrêtais de courir et de crier, je quitterais tout, l'école, les élèves, pour aller m'enfermer chez moi.

J'arrive à me calmer et propose un jeu d'opposition deux à deux : "Tout seul sur mon île". La règle est simple. On ne se sert que de la force des bras et l'on doit faire sortir le maximum d'adversaires pour rester seul sur l'île symbolisée par un cercle sur le sol.

J'ai retrouvé mon calme, je participe au jeu, sachant que c'est maintenant ou jamais pour moi de m'imposer. Ma bande d'excités s'en donne à cœur joie et commence par éliminer tous les petits.

Ensuite, je les sors du cercle un à un, non sans mal pour Sébastien qui résiste très fort. Peu importe,

je sais que je dois gagner. Ils doivent tous me voir seule sur mon île.

Je ne manque pas d'annoncer à la fin :"J'ai gagné, je suis la plus forte, car je suis seule sur mon île."

A 11h30, je les pousse presque dehors. Je fuis la classe à mon tour, je ne resterai plus à la cantine à partir de ce jour.

Dans l'après-midi, a lieu le premier passage de ceintures de comportement en Conseil. J'ai très peur.

Teddy est très agité, il gêne le Conseil et hurle malgré ma déclaration : "Teddy gêneur 1 fois." ça ne tarde pas. Deux minutes après, "Teddy, gêneur 2 fois, tu es exclu du Conseil."

Refus de sortir, silence des autres, il en sortira traîné par les pieds jusqu'à sa table. Le Conseil continue, je dois parler un peu plus fort pour couvrir la voix de Teddy qui se rapproche du Conseil, nous injurie, se moque d'Angelito pour le faire réagir. Je vois qu'Angelito s'apprête à répondre.

"Angelito, regarde-moi, tu n'as pas la parole, c'est moi qui préside le Conseil et tout ce qui se passe en dehors du Conseil n'existe pas."

Le Conseil tient bon malgré Teddy et tous les points sont traités. Ensuite, tout se passe bien et Teddy participe même à la séance de chant. Le soir, bilan positif pour la plupart mais je me sens prête à exploser.

22 Septembre, "En dehors du Conseil, le reste n'existe pas !"

La matinée est extrêmement pénible à vivre, toujours la même chose : cris, bagarres dans la classe, injures. Je reste le plus près possible des quatre excités. Je remarque malgré tout que lorsque Teddy est calmé, le reste de la classe respire et se calme presque aussitôt.

Pendant la récréation, je ferme la classe à clé, je tire les rideaux, je me couche dans la bibliothèque. Je ferme les yeux, je me sens abattue. Je voudrais que la journée s'arrête.

C'est ensuite le moment du Conseil. Quelle horreur ! Teddy va encore recommencer.

Je déclare le Conseil ouvert et rappelle les lois. Aussitôt, cela déclenche les hurlements de Teddy.

"Teddy, une fois gêneur !"

Je lis l'ordre du jour mais il m'interrompt encore.

"Je crierai si je veux et même dans ton Conseil, j'en veux pas de ton Conseil, je m'en fous !"

"Teddy, gêneur deux fois, exclu du Conseil."

Fou de rage, il refuse de sortir, il se couche par terre. Je le traîne sans aucune précaution pour le sortir du lieu. Il court partout dans la classe, se jette sur les fichiers et les renverse, il jette toutes les

panières par terre en hurlant. Je suis assise avec les autres élèves, je reprends l'ordre du jour, il revient vers le lieu du Conseil et m'insulte directement. C'est la première fois :

"Je t'emmerde, t'es con, merde, merde, connasse ! »

Je ne bronche pas, chacun des autres attend ma réaction, le Conseil continue. Teddy revient à la

charge en s'attaquant à Angelito. Espère-t-il me faire réagir ?

"Ton père sort de prison, c'est un violeur, tout le monde le sait."

Angelito me regarde et je saute sur l'occasion :

"Regarde-moi bien dans les yeux Angelito, c'est moi la Présidente, on n'entend rien de ce qui se

dit en dehors du Conseil, c'est moi que tu écoutes, le reste n'existe pas."

Angelito ne répondra pas.

Il reste un point, je le traite, le Conseil est terminé.

Chacun recopie dans son classeur la poésie écrite au tableau, la classe est toute en désordre. Teddy

a recopié très vite sa poésie, il est calme, il me propose de ranger.

Jeudi 23 septembre, un calme relatif

J'arrive complètement épuisée dans la classe. J'ai des nausées avant d'entrer. Au Quoi de Neuf, le calme est relatif et je constate qu'ils font des efforts pour écouter. Je profite d'une histoire de pigeon que Teddy raconte pour lui proposer d'écrire son histoire sur une grande feuille que toute la classe pourra lire.

Il accepte, il semble content. Pas d'agitation jusqu'à la fin.

En mathématique, par groupes de niveau, je valorise Teddy qui a fini son travail le premier et il me

demande s'il peut aider les autres.

"Tu peux, si tu veux. Tu ne leur donneras pas la réponse, tu leur expliques juste ce qu'ils faut faire, sinon ils ne feront pas de progrès."

"Oui, bien sûr, je le sais."

Seule la séance de lecture sera écourtée à cause de Virginie et Angelito.

Il est 11h 30, séance de présentation d'objets, rappel des Lois. Le silence est respecté ; félicitations à Claude. Dès la fin, Teddy refait une crise, mais seuls 2 ou 3 grands le suivent. Il se calme peu à peu, je lui propose d'aider les autres. Ce sera le calme complet jusqu'à la récréation.

Durant la séance de sport, Teddy refuse de jouer au foot. Je lui propose de m'aider à arbitrer le match qui se déroulera dans une bonne ambiance. Quand, de retour en classe, je leur annonce que le médecin scolaire passera lundi, "la folie" recommence : cris, hurlements.

- Il regarde toujours dans le slip !

- Ma mère veut pas que je lui réponde, il répète tout à l'assistante sociale.

Le retour au calme se fait avant de sortir.

16h 30, je ne peux plus rester dans ma classe pour travailler, je m'y sens mal, je sors. Les dix élèves

qui prennent le bus me rattrapent dans la rue. Teddy en fait partie.

"Maîtresse, t'as oublié de faire le bilan, on n'a qu'a le faire là, sur l'herbe."

J'accepte, on s’assoit sur l'herbe, silence complet et soleil général.

"Au revoir, à demain."

1er octobre, poser une limite infranchissable

La veille au soir, en réunion de petit groupe, où l'on échange sur les problèmes rencontrés dans nos classes, on a parlé d'un cas d'enfant. Dans la nuit, une idée me vient.

Dès demain, je pose une limite infranchissable : 3 croix au tableau entraîneront l'interdiction de

piscine pour l'élève.

Au réveil, je me sens forte, je n'ai plus peur. Avant même de faire l'appel, j'annonce cette décision. Ma voix et le ton ferme employé surprennent.

Insultes de Teddy. Je vais au tableau, j'inscris son nom accompagné d'une croix. Angelito et

Sébastien tentent leur chance, chacun une croix. Dès la mise au travail, Teddy refuse, déchire sa

feuille, m'insulte. Je vais très calmement au tableau et annonce :

"Teddy, deux croix" pas de réaction. Il demande à rester en classe pendant que nous allons à la

bibliothèque, j'accepte.

Alors que j'attends l'explosion, c'est un regard apeuré et triste que je lis dans les yeux de Teddy.

- ça va là, maîtresse ? Je suis calme ?

- Oui, tu ne gênes pas la classe, ça va.

L'après-midi, Teddy recommence comme le matin et je lui mets sa troisième croix. Je crains le pire,

il n'a plus rien à perdre, je le regarde discrètement. Il semble très triste, abattu et ne dit plus rien. Il

restera muet pendant toutes les autres activités, sauf au Conseil où, pour la première fois, il participe en levant la main pour demander un métier.

Il est 16h 30, les élèves sortent, Teddy attend d'être seul dans la classe et s'approche de mon bureau.

- Maîtresse, donne-moi des idées de métier que je peux demander dans le cahier.

Je lui propose plusieurs idées.

- J'y penserai maîtresse, à demander le métier d'effacer le tableau." On se quitte avec le sourire, mais arrivé à la porte, il revient vers mon bureau.

- Si je viens demain maîtresse, et que je suis sage tout le temps, j'ai une chance de me rattraper pour

la piscine ?

- Non Teddy, c'est trop tard, mais tu peux t'arranger pour que cela ne se reproduise plus.

- Oui maîtresse."

Une classe  méconnaissable, apparition de la monnaie

La classe devient méconnaissable, on ne se bat plus, il n'y a plus de hurlements et les refus de travailler ne durent pas longtemps. Mais les limites du pouvoir des croix commencent à se faire sentir. Comment faire, la semaine où il n'y aura pas piscine ? Sans trop réfléchir, je transfère la privation de piscine sur le spectacle de clowns. Je l'ai annoncé, je ne peux plus reculer. Teddy a trois croix.

Au moment du départ, je dis à Teddy d'aller dans la classe d'un collègue. Il semble triste, je ne me sens pas fière.

- Je comprends que tu sois triste, mais cela veut dire qu'il faut que tu y penses avant, une autre fois."

La journée précédant les vacances de Toussaint, plus de croix possible, les séances piscines étant terminées. Teddy se déchaîne. Coups de pied, insultes, chemises des correspondants et lettres déchirées, deux fois mis à la porte. Au bilan, des orages et des refus de participer. J'annonce :

"A la rentrée, nous aurons la monnaie dans la classe."

Ils semblent tous très intéressés, posent des questions, j'y réponds, et j'ajoute que nous en reparlerons au Conseil à la rentrée.

Je ne fais pas la rentrée, ma mère étant décédée, j'ai pris huit jours de congés. Ils ont eu un remplaçant, et je redoute le pire. Mais je me sens forte, armée de mes "Brics" (notre monnaie intérieure).

Dans la cour, Teddy m'accueille :

-On est content de te voir maîtresse.

Virginie : T'es encore beaucoup triste pour ta maman ou tu pleures presque plus ?

Moi : Moi aussi je suis contente de vous voir. Je suis encore un peu triste, mais ça va bien.

Sébastien : Et les sous, tu nous les donnes aujourd'hui ?"

Pendant le Conseil, j'explique de façon détaillée à quoi sert la monnaie et comment elle fonctionne. Au cours de la matinée, je me sens calme, et tout étonnée de l'effet magique produit par le mot "gêneur".

Angelito demandera à payer ses amendes à midi, je refus, j'avais dit que ce serait le soir. La paye du

soir se déroulera dans le calme. Teddy est 21 fois gêneur, il paie 5 brics.

- Moi : « ça y est Teddy, on n'en parle plus, tu as payé. »

Pendant le bilan, je surprends un aparté de Sébastien à Teddy : "C'était beaucoup plus calme aujourd'hui."

Et les apprentissages ?

Le vendredi suivant, c'est le marché. Cette semaine s'est déroulée sans grands incidents, ils ont travaillé, un album a été réalisé suite à une enquête chez le boulanger ; et les gêneurs au Conseil deviennent beaucoup plus rares, il n'y a plus d'exclusion.

Dans cette journée du premier marché, plusieurs temps de parole exceptionnellement calmes : le Conseil, la lecture de contes, les présentations.

Dès le début de l'après-midi, chacun ne parle que du Marché. Je paie le travail, pour ce premier marché j'ai fait attention à ce que personne ne soit en dette. Il sera réussi, chacun a acheté, chacun a

vendu. Au bilan, 14 soleils plus le mien, Jonathan n'était pas là.

Sébastien refuse toujours de présenter depuis le début de l'année. Je lui ai proposé de m'asseoir à côté de lui, mais il ne veut pas affronter la classe. Il meurt d'envie, pourtant, de gagner 5 Brics.

Angelito s'est inscrit pour présenter un livre et lit pour la première fois. Etonnement général, moi la première.

- Comment as-tu fait pour apprendre à lire ce passage ?

- Je sais pas maîtresse, je me suis entraîné beaucoup hier soir pour avoir des sous"

Je teste la lecture sur un autre passage du livre, il sait lire.

-Maintenant Angelito, tu fais partie du groupe des lecteurs, je te félicite.

Applaudissements et félicitations de la classe.

Un autre jour, Teddy réussit à passer une matinée sans barre de gêneur. Nous sommes à la fin du mois de novembre. Jonathan assiste pour la première fois au Marché mais refuse d'y participer.

Le 26 novembre, en Conseil, Teddy demande que je règle un conflit entre petits. Pour la première

fois, je renvoie la question au groupe. Teddy propose lui-même une solution qui est acceptée. Le conflit est réglé.

Au cours de la présentation de livres, Violette ne peut pas parler du sien, elle l'a choisi trop

difficile.

- Teddy : Maîtresse, il faudrait qu'elle s'entraîne et qu'elle prenne des livres plus faciles. Les grands pourraient aider les petits à choisir.

Une demi-heure plus tard, séance de bibliothèque, et sans que j'intervienne, chacun des lecteurs s'occupe d'un non-lecteur pour lui trouver un livre adapté.

Sébastien est non-lecteur et très complexé de l'être :

-Est-ce que je peux présenter la prochaine fois un livre de la classe qui n'a pas d'écritures ?

-Moi : Bien sûr, si c'est un livre.

Pendant cette séance, aucun gêneur, aucun cri, aucune bagarre.

3 décembre, un marché ordinaire ?

C'est jour de marché et Teddy n'a plus un Bric, mais il a payé toutes ses amendes. Il jubile :

- J'ai pas de dettes, maîtresse, je peux faire le marché.

Je le vois mettre en vente une vieille boîte métallique remplie d'anciennes pièces de monnaie et

d'un bouchon. Il l'avait présentée à la classe il y a deux semaine et depuis, tous les jours, il l'apportait à l'école.

Il y tient beaucoup, c'est son grand frère qui la lui a donnée. Elle est en vente à 70 Brics, une fortune. Pendant le marché, il trépigne mais ne trouve pas d'acheteur. Je m'approche :

- Pourquoi vends-tu cette boite ? Tu y tiens beaucoup pourtant ?

- J'en veux plus (je trouve cela bizarre mais ne dis rien)

- Moi je l'achète, elle me plaît bien. (je m'apprête à le payer)

- Attends maîtresse, me donne pas d'argent, ce que je voulais acheter, c'est le collier que tu vends 70 Brics.

Je n'avais pas du tout fait le rapprochement, depuis deux marchés, mon collier était resté invendu faute d'acheteur assez riche.

-Je voulais l'offrir à ma mère pour Noël, je vais le cacher en attendant. Tu peux l'essayer que je vois comment ça fait ? C'est beau !"

13 décembre, une confiance réciproque s'installe ?

Les groupes de travail ont changé, suite à un sociogramme. Tout se passe bien. Chacun accepte sans broncher sa nouvelle place.

Au Quoi de neuf, ce qui se dit, prend de la profondeur, les questions sont directement liées à la personne qui raconte, on dirait qu'une légère intimité s'installe, en tout cas une certaine confiance. On s'écoute. Elisabeth lève la main pour raconter, c'est la première fois qu'on l'entend.

Ce nouveau climat dans la classe s'installe doucement jusqu'au jour de la sortie. La veille des vacances de Noël, j'explique en détail qu'à partir de la rentrée, nous utiliserons les plans de travail.

Plusieurs points les enchantent : travailler seuls et gagner 15 Brics d'un coup.

Premiers jours de janvier, "ils sont adorables" !

Personne ne crie, ne s'insulte, ne se bagarre. C'est le calme complet. On commence les plans de travail individuel, les textes libres arrivent dans la boîte prévue à cet effet, ce sera le début d'une grande profusion.

Sébastien propose au Conseil d'apporter un lapin en classe, il fournira la cage et la nourriture. Le Conseil accepte.

Teddy apporte 20 francs pour la coopérative. Depuis le début de l'année, il refusait de demander à sa mère.

Une mère d'élève qui les prend tous les jeudis matin à la bibliothèque me dit ne pas comprendre ce qui se passe, elle ne les reconnaît plus, ils sont adorables.

Les plaintes ont diminué sur le cahier de Conseil.

- Teddy : Tu as vu maîtresse, personne ne se bat plus.

Jonathan, endetté, participant fortuitement au Marché, se met à travailler pour gagner des « Brics. ».

7 janvier, les apprentissages, encore

Violette présente un livre, elle sait lire. Je n'en reviens pas. Je n'ai pourtant pas encore fait de séance d'apprentissage de lecture. J'annonce à la classe qu'elle a appris à lire toute seule, et que désormais, elle fait partie des lecteurs débutants.

Je m'adresse à Sébastien qui ne présente toujours rien, ni livre, ni poésie.

- Toi aussi Sébastien, quand tu te sentiras prêt, tu sauras lire, mais d'abord, il faut que tu fasses un gros effort pour essayer de présenter. Je sais que c'est difficile, que ça fait peur, mais quand tu l'as fait une fois, après tu n'as plus peur du tout."

Le soir, lors de la paye des Plans de Travail, je déduirai à Sébastien 3 Brics pour une ligne obligatoire non remplie : présenter un livre.

7 février, présenter, une porte étroite mais nécessaire ?

Sébastien s'est inscrit ce matin pour présenter une poésie, mais son tour venu, il refuse. Il est blanc de peur, tout crispé et s'accroche à sa table.

- Je veux pas, je m'en fous des sous, je présenterai pas.

Je lui rappelle la loi " Je ne me moque pas" pour qu'il soit sûr de pouvoir dire en toute confiance et je lui propose de dire une ligne et qu'il répète après moi.

-D'accord, mais je reste à ma place.

- Non, tu dois présenter debout, face à la classe.

J'ai de la peine pour lui, je vois qu'il souffre, mais j'ai l'impression qu'il va gagner. Il se lève en pleurant. Je le tiens par l'épaule. Il répétera chaque phrase après moi dans un silence total.

-Qui veut faire des remarques ?

Virginie : - Moi aussi maîtresse, j'ai peur de dire tout haut, j'aime pas ça.

Moi : - Félicitations, moi aussi j'ai peur de lire à voix haute devant les gens.

Sébastien a gagné !

La classe aussi.

Le soir, avant de sortir, Sébastien vient me voir :

-Maîtresse, cette nuit, j'arrêtais pas de rêver que je devais présenter une poésie. J'ai rêvé toute la nuit et j'arrêtais pas de me lever pour chercher mon classeur. J'en ai présenté une grande.

Colette Bordas, Javrezac