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Faire le bilan, avec les élèves, d’une année en PI …

Cette année j’ai pu consacrer un grand moment au dernier bilan sur le chemin parcouru avec les autres, ensemble, dans ma classe de MS, GS et CP.

J’ai proposé de réfléchir au meilleur souvenir que chacun garderait de cette année et qu’il acceptait de dire aux autres. Assise parmi eux, j’ai le souhait sincère de ne pas « passer à côté » de ce moment.

« Passer à côté », expression régulière que j’ai utilisée cette année. « Passée à côté » de la mise en route de la classe à cause d’un premier congé maladie puis « passée à côté » de toute une période de février à mars suite à un autre congé.

Je leur ai dit cette difficulté pour moi, à deux reprises, de reprendre la classe après quelqu’un d’autre, cette peur souvent que j’ai eue, de ne pas réussir à bien faire la classe, mais rassurée ensuite par leurs réussites.

Je me suis adressée à chacun d’eux pour leur dire quel moment d’eux en classe je gardais en souvenir, retraçant ainsi l’histoire de notre vie en classe.

Mes souvenirs passaient par la joie de Gwendoline, nouvelle lectrice débutante courant partout dans la cantine pour l’annoncer à tous les grands et les adultes, le sourire de Théo quand il a félicité Emma, pour être la plus grande en lecture au mois de juillet alors qu’il était en larmes quand il avait constaté qu’elle l’avait rattrapée dans les ceintures à Pâques, la constance de Vanilla à aider Gwendoline tout au long de cette année, la ceinture rose en maths de Birdy qui y croyait à peine,….

En même temps que mon regard parcourait le cercle pour n’oublier personne, je constatais que naturellement les bons souvenirs que j’avais de chacun affleuraient.

Ils ont dit aussi leurs souvenirs :Matthias affirme que son meilleur souvenir est le jour où il est devenu chef d’équipe après avoir attendu si longtemps après trois ans passés dans la classe.

Emma pu dire qu’elle avait adoré recevoir les lettres de Jules son correspondant. Apolline se rappelle quand elle a eu droit de présider les présentations. Théo avoue qu’il a failli pleurer quand il a entendu « Théo ,chef d’équipe ». Il dit qu’il croyait qu’il avait mal entendu et que c’est pour ça qu’il n’avait pas bougé de sa place.

Vanilla aurait voulu que Maëlys (sa correspondante) reste deux jours dans notre école tellement elle l’aimait bien.

Marion se rappelle quand elle était toute petite et qu’elle avait eu pour la première fois un chef d’équipe qui s’appelait Lucas ; c’était justement Lucas qu’elle souhaitait. Mattéo se souvient n’avoir pas compris comment il avait tout d’un coup su lire le mardi aux présentations parce que le soir d’avant avec sa maman il ne savait pas.….

Je les écoutais, persuadée une fois encore que je n’avais perçu qu’une infime partie de ce que j’aurais pu entendre d’eux cette année. Me revenaient alors tous ces moments de lassitude où je savais que je ne les entendais plus ou pas et où la fatigue ou encore leur manque d’intérêt servaient souvent d’alibi. Leurs paroles semblaient signifier que cette classe les avait fait grandir, tout au long des bons jours comme des mauvais. Chacun avait réussi à trouver des accroches pour avancer. Un tri s’était fait pour eux, permettant de ne garder que les traces essentielles.

J’ai regretté l’ensemble des jours où pour diverses raisons, étrangères à eux, je m’étais montrée fatiguée, irascible et sourde à certains mais je leur ai assuré qu’à chaque fois que j’avais ouvert la classe le matin, cela avait été avec un authentique plaisir de les retrouver.

Mattéo, peu enclin aux confidences habituellement, toujours occupé à autre chose dans les moments d’ouverture et de fermeture de classe, demande la parole :

-« ça se voyait, maîtresse que tu étais contente d’ouvrir la classe, tous les matins, parce qu’à chaque fois, tu le disais avec un très grand sourire. »

Je déclare le bilan terminé.

Cette parole de Mattéo montre jusqu’à quel point les élèves peuvent s’accrocher à des détails de notre attitude, de nos expressions, de nos mots et combien ces mots, ces petits détails peuvent revêtir une grande importance pour eux. Je doute que chaque matin j’ai ouvert la classe avec un grand sourire mais le jour où je ne souriais pas, que se disait Mattéo ?

Quelles traces ont laissé derrière eux les autres signes adressés par mes gestes, mots, soupirs envoyés ainsi et combien d’élèves en ont été ravis ou blessés ?

Difficile de rester vigilante, quand ces propres signes m’échappent, même s’il en est certains, largement intentionnés.

Recommencer la classe l’an prochain mais en y songeant, me rappeler si possible que chacun de mes gestes ou paroles ne restent pas en l’air mais sont bien des signifiants pour eux. Chercher alors un autre but, d’autres moyens plus légitimes pour détourner des sentiments dissimulés .

Le paysage de la classe ne serait-il donc composé que de milliers de traces, chacun s’en emparant, les interprétant à sa guise pour avancer, apprendre, faire comme, ou bien encore être bloqué, hésiter, attendre un signe.

La classe comme un chemin où chacun de toute façon pourrait trouver la trace dans laquelle il peut en toute sécurité poser le pied, y projeter son propre pas vers l’avant.

Colette Bordas, Javrezac, juillet 2007