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Une entrée dans les apprentissages à travers des institutions, les boutiques et le compagnonnage

Marie est en Grande Section mais on pourrait croire en la regardant évoluer dans la classe qu’elle a quitté la maternelle trop tôt, beaucoup trop tôt.

Elle a dans son attitude quelque chose de décalé, semblant surprise lorsqu’on l’appelle, de se trouver parmi nous. Ses verres de lunettes en forme de demi-lune la font regarder par-dessus la monture, accentuant ainsi son regard étonné. Elle se salit quotidiennement, ne demandant pas à sortir pour aller aux toilettes. « C’est trop sale ! »dit-elle.

 

Marie ne semble pas maîtriser les limites des choses qui l’entourent

A la cantine elle se renverse un jour un saladier garni d’endives en vinaigrette sur la tête car elle le soulevait pour le poser sur une étagère manifestement trop haute pour elle.

Un matin, l’idée la prend soudain de dessiner, elle se lève de sa chaise brusquement, fonce vers le meuble à papier, prend une feuille à dessin, et se heurte violemment le menton. Elle a mal et là encore, regard d’incompréhension suite à ce qui lui arrive.

Chaque jour, on peut l’entendre annoncer à voix haute qu’elle n’aime pas cette école, qu’elle n’aime pas faire du travail, qu’elle préférait son école maternelle d’avant parce qu’on pouvait jouer beaucoup. Faute de travail elle n’a aucune croix ni couleur dans les panneaux des progrès.

En atelier de productions elle demande à s’inscrire uniquement dans les ateliers terre, peinture ou encore bricolage.

Le reste du temps elle va et vient, court dans la classe, parle fort, errant et ne semblant pas toujours se rendre compte de la présence des autres.

Ce moment des boutiques

Chaque matin a lieu pendant environ 15 minutes le moment des boutiques. Trois élèves proposent d’ouvrir une boutique pour apprendre chacun à faire quelque chose à deux autres élèves. Le thème des boutiques est changé chaque semaine.

Charles, chef d’équipe de Marie propose une boutique pour s’entraîner à lire les prénoms de la classe. Plusieurs élèves sont intéressés, il choisit Romain et Marie. Son choix est téméraire car Romain est un élève très difficile, violent souvent et Marie a du mal à se tenir à un travail quel qu’il soit.

Les boutiques commencent et je demande à Charles  discrètement « Ça va aller ? »

-Si ça va pas je t’appellerai .

Je suis ensuite occupée par ailleurs et je ne m’occupe plus de la boutique.

Marie vient vers moi et lance : « Je ne sais pas faire, je ne veux pas le faire ». Je la renvoie à Charles pour qu’elle s’explique avec lui.

Un compagnon

Elle y retourne mais dès la fin de la séance, revient et annonce fort qu’elle veut s’inscrire dans le cahier du Conseil.

« Je veux m’inscrire pour dire que je veux lire des petits livres et que je demande à Charles si il veut être mon compagnon. »

C’est Charles qui va l’aider à s’inscrire et dès le Conseil suivant Charles devient donc son compagnon. Chaque matin elle vient le trouver pour lui lire les trois pages qu’elle a préparées à la maison et le fait très sérieusement.

La séance suivante de travail individuel, Marie fait trois fiches de lecture et deux tests de mathématiques. Une semaine après, ce sont les vacances de Noël et Marie est inscrite dans les panneaux. Elle a réussi quatre tests de maths et a deux croix dans le panneau des progrès en lecture.

Marie ne « flotte » plus parmi nous. Charles semble avoir trouvé comment la surprendre à désirer. Ce ne sont pas mes discours, ni mes incitations répétées de mise au travail qui ont eu de l’effet sur elle mais bien quelque chose de l’ordre du désir qui a trouvé à quoi s’accrocher.

Ces boutiques, sur un temps très court apparaissant comme un détail parmi les diverses institutions, ont pourtant été pour Marie une entrée possible pour se lancer dans les apprentissages.

C’est par la multiplication de ces possibles que peut apparaître pour chacun un espace disponible, une chance de s’inscrire dans la classe, de pouvoir être en prise.

Je me souviens l’an dernier que c’était Charles que je trouvais très immature et qui de toute l’année n’avait pas semblé trouver à quoi s’accrocher. Il était resté en retrait. J’étais loin de me douter que cette année il serait parmi les meilleurs chefs d’équipe et capable d’aider une autre à grandir.

Colette Bordas