Deux années d'une enfant difficile en GS puis en CP, le rôle des institutions, en particulier des chefs d'équipes et des tuteurs

Ce texte réunit des notes prises pendant une période particulièrement difficile lors de la troisième année de Samantha dans la classe de maternelle de Martine Plainfossé et des extraits des réunions de chefs d’équipes à propos de la même enfant, l’année suivante, dans la classe de GS / CP de Colette Bordas.

Au moment de la première prise de notes, Samantha a déjà effectué une année de moyenne et une année de grande section dans la classe de Martine Plainfossé.

A l’issu de cette dernière année, elle a été maintenue en GS : elle parle encore très indistinctement et n’est pas prête à aborder les apprentissages.

Elle a alors, 6 ans et dans cette classe de trente et un enfants, elle domine chacun par sa stature et sa force physique. Elle est avec le même groupe d’enfants pour la troisième année.

Elle vit dans une famille d’accueil et voit ses propres parents et ses sœurs lors de visites encadrées par les services sociaux. Elle est aussi suivie par les services d’un hôpital de jour le mercredi et par une orthophoniste.

 

Notes sur Samantha, novembre et décembre 2003

 

Depuis 4 jours, exacerbation de la violence à travers paroles et gestes.

Agressions physiques multiples : coups de pieds, coups de poing, gifles.

Agressions verbales : « Ta gueule, pauvre conne ! »

Samantha se donne à voir : ricane, nie, provoque et se trouve une place ainsi. Et pourtant, je perçois un désarroi sincère…

Souvent aux moments de regroupement, aux entrées et sorties de la classe, fins de récréation, passages aux toilettes, elle agresse de façon répétée tous ceux qui se trouvent sur son passage.

Je l’arrête, elle nie. Le ton monte très vite. Elle n’écoute plus et refuse de marquer le moindre arrêt, emportée par quelque chose hors de sa maîtrise.

 

Le lundi où je n’ai trouvé d’autre solution pour arrêter le cycle de coups, colères, cris : l’appel à la famille d’accueil et le départ de Samantha. Ses hurlements !

 

Si je l’arrête physiquement, deux possibilités :

Elle peut fondre en larmes – clamer à grands cris que tout est faux – se perdre en explications embrouillées qui sont autant de dénis.

Elle peut aussi s’emporter violemment, donner des coups de pieds, menacer, refuser la moindre écoute, se rouler par terre, hurler, s’en prendre à quiconque passe auprès d’elle ou la regarde.

Ce qui m’inquiète alors : la tension, la mienne, la sienne qui ne retombent pas. Sa violence, son déni, son énergie me rappellent une personne qui me touche de très près.

Sa violence éveille la mienne et ma culpabilité.

 

Et pour autant, la même semaine :

· elle se rajoute des croix sur le panneau des progrès

· elle veut parler en tant que responsable d’équipe, par-dessus Ophélie, à plusieurs reprises

· elle s’essaie à l’écriture : les noms de ses copines

· elle s’inscrit de nombreuses fois au Conseil

· elle tente dans un grand silence de présenter un album, « Le géant de Zéralda » : « Le papa, il a un couteau…il fait peur aux enfants… »

 

Lors du passage des barrettes, elle affirme : « Non, je cours pas ». Démenti des autres…Elle nie. Est-ce l’impossibilité d’accepter la réalité si loin de son désir ? Trop difficile ?

Ces paroles, « Tu m’en demandes trop » dans une monographie de Colette Bordas me reviennent. Est-ce que je lui en demande trop ? Pour qui est-ce trop ? Pour elle ? Pour moi ? Pour tous ?

 

Cette alternance de crises violentes et de régression où elle revient dans le désir de me plaire, conciliante, presque soumise « Pardon »…Elle ne me quitte plus, recherche la présence au plus près.

Les moments d’apaisement où elle se fait câliner par Ophélie, Amélie, ses tutrices.

Son écoute toujours sur le qui-vive. L’appel de l’assistante sociale. Elle n’en entend que la sonnerie du téléphone mais pourtant aussitôt après :  « Qu’est-ce qu’elle t’a dit Marion ? »

Les moments de provocations devant Florian, Nathan où elle mime l’acte sexuel. Cette impression qu’elle n’entend alors plus rien. Partie très loin de nous.

 

Je dois m’efforcer d’imaginer en Conseil, une autre mise en place, sachant que la sortie de la classe, prévue jusqu’alors, seule pour retrouver Loëtitia, l’assistante maternelle, est devenue impossible. Je ressens douloureusement, sa détresse d’être séparée de la classe.

Alors elle sort sur sa demande ou la mienne, accompagnée par deux enfants qui se relaient : Ophélie et Amélie puis s’y ajoutent Audrey et Hélène.

Elles choisissent alors ensemble, une activité calme, bricolage, peinture, dessin, bibliothèque.

Jeudi, jour tranquille avec Audrey et Hélène, elles vont en bibliothèque : moment presque serein où elles regardent des livres.

Samantha revient alors paisible pour le bilan.

 

Journée difficile vendredi, visite à la mère, elle prépare un dessin à son intention : «J’aime beaucoup ma maman et ma petite sœur ».

Elle adresse ces paroles à moi, à Loëtitia. Mais elle s’énerve vite. La présence seule d’Amélie suffit à peine. Audrey, Hélène et Ophélie ne sont pas là.

Plusieurs agressions mineures : cheveux coupés, bousculades. Elle parle fort, ricane.

Fin d’après midi difficile, impossible d’écouter la lecture d’un livre ; je lui demande de sortir, accompagnée d’Ophélie de retour et d’Amélie.

Refus, cris.

J’insiste. Elle sort en empoignant les deux filles et prend  les commandes.

Au moment où Ophélie la quitte pour venir faire son métier, hurlements que nous entendons de la classe : « Elle m’avait promis…» Et moi, j’entends :  « de ne pas me laisser seule dans l’atelier. »

Qui avait fait cette promesse ? Ophélie, moi surtout ! j’en étais la garante.

Ophélie retourne avec elle une fois son métier fini. Calme de nouveau.

Au bilan, elle revient, abattue et suce son pouce.

 

Sa demande que je trouve infinie à mon égard. Le côtoiement au plus proche, elle soulève mon bras, se blottit. Sa main, ses gestes et ses paroles, « Je t’aime très fort »…

Qu’est-ce qui me touche là dedans exactement ?

 

Jeudi, un bricolage, une princesse, grand moment de calme.

Vendredi, un dessin de maison avec dit-elle « Une maman dehors, dans la maison, personne… », elle réfléchit …  « Si …un bébé. »

 

De nouveau, agressions sur Mélanie en particulier qui hurle alors comme un bébé, la plus petite de la classe qui porte le prénom d’une de ses sœurs…

 

Nouveaux contacts avec l’assistante sociale et Mdme N et son mari, famille d’accueil où est placée Samantha. Ils reviennent d’un bilan à l’hôpital de jour. Pour l’hôpital, Samantha ne manifeste aucune demande de parler. Trop de pressions de ma part renforceraient son sentiment d’échec. Ce qui est prescrit : médicamentation  «  légère » mais pas de thérapie individuelle.

 

24 novembre

Atelier écriture, elle vient s’installer à côté de moi avec son cahier. Elle veut écrire. « Tu veux que je te montre ou c’est toi qui écris en premier ? ». Elle me fait comprendre que c’est moi qui dois faire. Elle regarde ce que j’écris sous sa dictée confuse, puis commente. Elle essaie de faire pareil. Calme encore.

 

Du 24 au 27 novembre

Elle demande à sortir le matin lors des temps de parole. Calmement. Travail soigné : dessin et peinture avec Audrey et Hélène.

 

Travail avec Corentin qui colle ses tickets de cinéma dans son cahier de vie et veut inscrire son titre, « Le monde de Nemo ». Elle regarde et commente. Puis elle veut agir, propose d’abord une aide puis intervient massivement et entreprend d’envahir le cahier de Corentin : écrit, colle au côté du travail de Corentin. Que veut-elle ?

 

En atelier bricolage, avec son équipe, « la maison des petits cochons ». Puis seule, à mes côtés, réfléchit, ajuste, mesure, compare pour que les murs soient tous de la même grandeur, positionne des attaches parisiennes et rectifie quand elle s’aperçoit que cela ne va pas. Tâtonne dans le plus grand calme.

Mais les compliments après cette réussite l’énervent…Se sent-elle comme mise en scène ? Elle ne sait plus se contenir…

Participation active à la lecture du menu : elle identifie des lettres…des sons…et envahit de nouveau l’espace par sa réussite

Travail individuel mené à son terme, analyse visuelle sans erreur

 

4 et 5 décembre

Difficile de nouveau : agressions fortes et répétées sur Audrey qui pourtant l’aide avec une constance remarquable : coups de pied violents dans le bas du dos. Elle quitte le Conseil dès le début. Elle y sera critiquée à trois reprises.

Les décisions lui seront annoncées en début de récréation.

Lors de ce moment, de nouveau, nie, tente de s’imposer en parlant plus fort que tout le monde puis écoute et suce son pouce. Audrey, Ophélie, Amélie et Hélène témoignent. Je n’interviens presque pas.

Sont décidés :

  • Un métier obligatoire lors de la première récréation pendant 10 minutes.
  • Une paye thérapeutique, matin et soir en l’absence d’agressions, de colères fortes et d’injures : deux pièces d’or dans chaque cas.

Elle écoute mais veut sortir dès la fin de l’explication pour aller en récréation. Elle semble surprise de devoir rester et exécute son travail supplémentaire avec soin.

La journée « tient » malgré l’excitation due à la visite encadrée aux parents prévue le soir.

Accepter cela : cette alternance et cette fragilité de tous nos essais.

 

8 décembre

Difficile encore. Sa façon de demander qui l’aidera le matin : provocante et sincère aussi.

Elle sort sur sa demande lors du Quoi de Neuf…

Colère forte au moment de partir en bibliothèque avec Loëtitia.

Sous un prétexte futile, elle devient furieuse, se précipite et donne un grand coup de pied à Mélanie qui est assise sur le tapis…Ne se contrôle plus. Je lui demande de sortir, elle hurle, refuse. Puis elle sort, violemment en repoussant tout le monde sur son passage…Trente enfants tentent de s’écarter. Elle passe devant la toise suspendue au mur et cingle Robin qui se trouve sur son passage…Pleurs et hurlements dans toute la classe…Elle veut rester dans le couloir, au plus près de la porte de la classe mais je m’y oppose et la contraint à aller dans l’atelier où elle part à l’assaut des portes vitrées à grands coups de chaussures…Le temps de mettre en route le travail de chacun, je reviens la voir et la préviens que si j’entends encore un seul coup de chaussures dans les portes, j’appelle sa gardienne pour qu’elle retourne chez elle. Elle boude 30 secondes, revient et s’assoie. La crise est finie. Jusqu’à la prochaine…

 

Qui intervient dès l’après-midi : début calme, travaille tranquille sur des fiches individuelles, travail soigné. Puis en fin de récréation, refus de rentrer, Audrey et Hélène viennent me prévenir. Elle rentre alors en courant et criant et n’arrive plus à se calmer. Finit dans l’atelier, avec Loëtitia, après avoir encore fait mal violemment à Audrey.

Au bilan, 32 pièces d’or de dettes et pas de paye thérapeutique sur la journée.

 

Est-ce trop tout cela ?

Est-ce que je protège vraiment les plus petits ?

Me tenir encore demain aux décisions prises, malgré mon vif désir de passer outre ?

 

Semaine du 9 au 15 décembre

Elle s’acquitte de son métier supplémentaire avec soin, sans protester. J’accepte moi aussi une certaine forme d’attente : j’essaie de ne pas intervenir de façon désordonnée, de me tenir toujours à ce qui a été décidé.

Je note lors de la réunion des responsables, le 10, le fait que personne ne mentionne Samantha…Je n’en dis rien non plus. Pose-t-elle moins de problèmes ou bien savent-ils bien que ce sont d’autres qui s’en préoccupent, les quatre tuteurs ? Paye thérapeutique plus ou moins régulière mais elle ne conteste pas ou peu.

 

Au marché, drame devant les bonbons que vend Audrey…son envie et l’impossibilité d’acheter qu’elle perçoit…

Elle pleure longuement devant la dette qui lui reste à payer. Elle tente des explications, elle veut garder une pièce d’or. Je lui dis comprendre sa tristesse mais qu’elle doit finir de tout rembourser avant de pouvoir acheter. Je l’aide à choisir ses étiquettes pour qu’elle puisse éventuellement rembourser et participer.

Larmes presque silencieuses. Pas de grands cris. Après bien des essais de se faire entendre, elle accepte de s’asseoir.

Les bonbons sont achetés progressivement par d’autres. Elle le voit bien sûr. Difficile sans doute pour elle, mais pas de crise. Des enfants lui achètent des objets : Amélie, William. Elle rembourse toute sa dette et peut acheter un bracelet à Loëtita…Elle en est heureuse sans excès : sans grands cris, sans grandes manifestations…

 

Écrire sur Samantha, sans excès, moi aussi. Ne pas l’utiliser pour moi, pour me bâtir une belle image à bon compte.

Est-ce toujours ce que je fais ?

 

Quelques mois plus tard, à l’issu de cette deuxième année de grande section, suite à une demande d’entrée en IME, refusée, Samantha sera accueillie dans la classe grande section/CP de Colette Bordas.

 

 

 

 

Les chefs d’équipe parlent de Samantha, année 2004/2005

 

Lorsque Samantha arrive dans l’école, son comportement est aussi imprévisible que celui décrit lors de l’année précédente. Chaque jour sauf exception, la violence prédomine et laisse place par intermittence à des moments d’excitation intense, de calme, de colère puis d’apaisement. Elle semble alors comme épuisée, vidée de son énergie qu’elle avait tant de mal à maîtriser.

Quatre élèves sont chefs d’équipe et se réunissent avec moi chaque mardi pour faire le point sur les équipes, les progrès et les difficultés qu’ils rencontrent.

J’ai pris en notes chacune de ces réunions hebdomadaires en ne gardant ici que les passages qui concernaient Samantha.

 

5 octobre 2004

 

Ambre Samantha, elle, quand je lui dis d’arrêter, elle n’arrête pas. Je crois qu’elle, il vaudra mieux que je lui mette 3 avertissements au lieu de 2 comme les autres.

Gwénaëlle Je pense que quand on aura les carnets, c’est là où elle va s’arrêter peut être.

Jean Tu vois, Ambre, si elle joue sans gêner les autres, tu la laisses.

 

12 octobre

 

Ambre Mon équipe va bien, mais Samantha a beaucoup de barres. Je vois que je suis plus calme dans l’équipe. Samantha fait tellement de bêtises que j’ai plus le temps d’avoir des barres.

Louise Je voudrais féliciter Samantha et Gwénaëlle. Samantha parce qu’elle m’écoute bien quand je lui lis son papier pour ne pas faire mal et Gwénaëlle parce que ce matin, elle m’a très bien lu son passage de livre.

Ambre Je trouve que depuis que Louise est là et que je suis son chef d’équipe Samantha dit beaucoup moins de gros mots. Et elle fait moins de bêtises.

 

19 octobre

 

Ambre Samantha a beaucoup de barres…... Quand elle m’embrasse Samantha, j’aime pas trop qu’elle me fasse ça et je la vois souvent le faire à Louise. Je préfère la laisser faire.

Louise C’est souvent moi qu’elle embrasse très fort. J’ai osé lui dire que j’aimais pas ça qu’on m’embrasse comme ça. Quand je lui dis, elle arrête mais elle recommence tous les jours quand même.

Ambre Par exemple, elle s’énerve, elle peut pas s’en empêcher, et alors moi, ça m’énerve aussi et elle le voit. Alors après, elle m’embrasse.

La maîtresse Tu sais Louise, tu as le droit de ne pas aimer ça et d’en être dérangée, même Ambre. Vous pourrez peut-être en parler au Conseil si c’est vraiment trop dérangeant, pour demander qu’on cherche ensemble une solution.

Ambre Samantha a arraché son papier qu’on lui a collé sur sa table pour lui dire de pas faire de mal. Je préfèrerai lui recoller parce que c’est toujours parti et ça me gène. Faudrait trouver une solution.

 

9 novembre

 

Ambre Avec Samantha, elle me tape tous les jours, je lui mets des barres et des avertissements mais ça ne change rien du tout.

Louise Pourtant, pour l’aider, moi je lui lis tous les jours son papier et je trouve qu’elle a fait des progrès et qu’elle fait moins de mal.

Ambre Oui, peut-être, mais elle me fait mal quand même.

Louise On pourrait essayer de lui donner des petits dessins à faire.

La maîtresse Est-ce que tu veux nous dire, Ambre, que c’est trop difficile pour toi de la garder dans ton équipe ? Ou bien veux- tu que l’on cherche encore des solutions pour qu’elle puisse rester dans ton équipe ?

Ambre Non, ça va quand même, j’y arrive mais je veux bien qu’on cherche des solutions. J’ai quand même une idée de moyen qui pourrait marcher. Elle pourrait faire des coloriages. Je regarderai chez moi parce que j’ai encore des albums à colorier et elle aime ça.

Louise Sinon, moi je peux lui en acheter dans un magasin.

Jean Moi, il m’en reste chez moi mais ils sont très bébés et elle est quand même grande.

Ambre Oui, c’est ça ! Je lui Conseillerai en premier des coloriages pour se calmer. En deuxième, si ça ne marche pas, je lui propose d’aller jouer à l’eau et si ça la calme toujours pas, je l’emmène à coté de la maîtresse.

Un jour, exprès, je lui ai mis zéro barre de gêneur pour qu’elle connaisse ce que c’est de pas avoir de barres de gêneur. Passer toute une vie avec des barres de gêneurs, c’est pas possible. Je voulais qu’elle connaisse ça, une fois.

 

16 novembre

 

Jean Ce serait bien si Samantha avait un banc pour se défouler, elle aime bien les bancs.

Ambre Je pense que tu devrais lui donner du travail plus facile à faire, avec moins de chose à faire, maîtresse.

Jean Si on la met toute seule à une table, elle peut faire des bêtises, elle est toute seule.

Ambre Oui, mais elle arrêterait de vider tout sur ma table ou sur celle d’Anna.

Louise Comment elle pourrait jouer si on la renvoie sur des bancs et qu’elle n’emmène pas ses affaires ? Je crois que c’est un peu difficile pour elle. Je lui avais dit de pas vider la bouteille de vernis dans l’évier mais elle n’écoute rien. Hier, elle était très énervée.

Jean Peut-être que quelqu’un pourrait la surveiller avec ses yeux et quand elle fait une bêtise, il lui dit « Arrête ».

Louise Je t’ai dit que quand je lui dis, elle m’écoute pas.

Jean Oui, mais on lui a pas dit que c’était toi qu’on avait choisi pour faire ça.

Louise Elle continue beaucoup à faire mal.

La maîtresse On doit absolument refaire un Conseil avec Samantha le vendredi. Ca fait plusieurs fois que je ne le mets pas dans l’emploi du temps et ce que vous dîtes là, il faut qu’elle l’entende dans le Conseil.

Jean Peut-être qu’un jour, on peut appeler Samantha à la fin de la réunion et lui dire.

Ambre Je supporte encore, ça va mais ce que j’apprécie le moins c’est quand elle me tape. Un jour, c’était si fort que j’ai cru que j’allais tomber dans les pommes.

Louise Il faudrait peut-être que Ambre se soulage, elle pourra pas tenir comme ça.

Ambre Ce matin, je me sens soulagée. Je ne m’en suis plus occupée. J’ai préféré la laisser toute seule faire ses cochonneries à l’imprimerie et pendant ce temps là, j’étais avec Anna et j’attendais.

Louise Quand je lui lis son papier, on dirait qu’elle m’aime. Elle me fait des bisous sur la main. C’est drôle qu’elle puisse faire mal et presque après faire des bisous. C’est drôle comme elle aime les autres.

 

2 décembre

 

Ambre Mon équipe va bien et je trouve par contre que Samantha fait de plus en plus de progrès parce que maintenant je trouve qu’elle écoute bien la maîtresse. Elle entoure à chaque fois le bon mot. Elle a un petit peu changé depuis qu’elle est dans cette école

Louise C’est vrai qu’avec Samantha ça va mieux. Peut être à cause, depuis que je lui lis son papier tous les matins. C’est vrai que moi, maintenant, elle ne me fait plus mal. C’est bizarre.

La maîtresse Avez-vous vu du changement depuis que nous avons mis en place sa paye, justement ? (Nous avons décidé de payer Samantha 3 soleils quand elle parviendrait à passer une demi-journée sans faire mal)

Louise Oui, ça a l’air de marcher. Un peu parce que là, elle ne fait plus de mal je trouve.

Ambre En tous les cas, elle a été payé une seule fois trois mais quand même ça a un petit peu marché. Ça faisait depuis pas très longtemps qu’on avait décidé de lui mettre sa paie de trois, un matin ça a marché mais l’après midi ça n’a pas marché. Par contre on pourrait pas partager l’après midi, parce que l’après midi c’est un peu long ( de tenir sans faire mal) A la récréation on demanderait si Samantha a fait un peu mal. Et après la récré, on redemanderait le soir.

La maîtresse Qu’en pensez, vous?

Jean Non ! moi je pense qu’on peut toujours laisser comme ça parce que ça va quand même. Je trouve que quand même, depuis qu’on a trouvé cette idée, ça marche beaucoup mieux. Elle tape moins elle fait plus de progrès. Moi, j’ai envie de laisser comme ça.

Ambre Moi je suis pas d’accord avec toi parce que ça fait un peu long. Un après midi entier, t’aimerais ne rien faire ? C’est quand même long l’après midi, plus long que le matin. Moi je crois qu’il faut le partager.

Louise Moi je dis que c’est une bonne idée parce que c’est vrai que le matin c’est pas long, mais l’après midi c’est beaucoup plus long. On pourrait couper vers 3 heures.

 

7 décembre

 

Ambre Moi dans l’équipe, je remarque que Samantha fait de plus en plus de progrès Je remarque que Samantha fait des progrès, elle a réussi des fiches. Elle tape moins.

 

6 janvier 2005

 

Ambre Samantha, ça va. Elle tape moins mais encore un peu quand même... Elle est en progrès pour son travail, elle a fait des fiches ce matin.

 

 

 

 

 

11 janvier

 

Ambre Samantha, c’est pas très bien. En ce moment, tous les matins, elle se met à piquer une crise et elle fait moins de progrès.

 

18 janvier

 

Ambre Avec Samantha, c’est dix fois plus dur en ce moment.

 

8 février

 

Ambre Samantha est toujours brusque.

 

22 février

 

Louise Mon équipe va bien. Samantha ce matin, s’est comportée comme une grande écolière. Quand elle disait des gros mots, elle me disait aussitôt des excuses. Elle faisait très bien son rôle à l’imprimerie. …Je me sens vraiment très contente avec cette équipe.

Jean Tu as mis des avertissements ?

Louise Oui, c’est vrai qu’elle en a presque pas eu ce matin.

Ambre Ce matin, j’ai entendu que Louise disait des compliments à Samantha et j’ai vu qu’elle faisait la grande. Moi, avant j’étais sa chef d’équipe et j’étais contente ce matin de voir ça.

 

3 mars

 

Louise Mon équipe va bien. Samantha est gentille pour l’instant. Elle est plus gentille que d’habitude. Samantha va vraiment de mieux en mieux, elle fait moins de commentaires.

 

15 mars

 

Louise L’équipe va bien. Samantha fait quelques progrès. Ce matin, elle n’a presque pas fait mal. Juste après une colère mais c’est tout. Elle m’a dit : «  Louise, t’es nulle » mais c’était juste une colère. Je sais qu’elle le pense pas Oui, je pense que Samantha va mieux.

Lucas H Moi aussi, j’ai l’impression qu’elle fait des progrès, elle fait un peu moins de mal. Elle tape moins et elle dit moins de gros mots.

Jean Moi aussi, je crois mais à la fin, elle fait du mal quand même. Je pense que quelqu’un devrait faire penser à Maîtresse de demander à la classe si elle fait du mal comme on l’avait décidé. Je pense qu’il y a des jours où on a oublié et elle a pas été payée.

Lucas H Louise, est-ce que tu lui lis toujours son papier ?

Louise Oui, des fois j’oublie mais elle m’y fait penser. J’ai remarqué que parfois, j’avais oublié de lui lire mais qu’elle n’avait pas fait de mal à la récré.

Ambre C’est normal qu’elle ait l’air contente et heureuse en ce moment, sa sœur est née et cette fois, c’est pas comme l’autre qui est morte.

 

22 mars

 

Louise Samantha fait moins de colère quand elle est là. Mais elle fait encore beaucoup de bêtises.

 

Le 23 mars, lors d’un groupe de parole je reconnais ne plus être à même de l’entendre et la renvoyer directement sans l’écouter dans la classe d’une collègue. Les paroles que j’entends en retour me font l’effet d’une onde de choc et je réalise dans quelle situation d’abandon je la mets

Je ne m’adresse plus à elle en tant que sujet mais comme une chose, un boulet que je n’entends plus.Je ne la supporte plus.

J’en parlerai à la réunion des chefs d’équipe.

 

6 avril

 

Louise Je me sens fatiguée, Samantha a fait des progrès pour revenir des toilettes et elle arrête plus facilement de taper.

Jean C’est vrai que Samantha fait des progrès. Je trouve qu’elle sort moins souvent chez madame Baron.

.La maîtresse Je voudrais vous demander à nouveau de l’aide pour Samantha. Je pense que ce serait bien que quelqu’un de la classe intervienne avant moi quand il y a besoin de s’occuper d’elle. Cela me met souvent en colère et ça n’arrange rien alors que si quelqu’un peut s’en occuper tout de suite, cela sera peut-être plus efficace.

Jean Je pense que Louise serait la mieux placée parce qu’elle est déjà assise à coté d’elle.

Louise Je trouve que ça ferait beaucoup, je dois déjà m’occuper d’elle dans l’équipe, alors si je suis en plus son tuteur, c’est peut-être trop.

Ambre Je suis d’accord. Moi je pense que son tuteur reste à sa place et si il voit qu’elle fait une bêtise, ou qu’elle tape, c’est lui qui intervient.

Jean Bonne idée, Ambre mais sauf qu’aux récrés, il faut quand même jouer, on ne peut pas faire que s’occuper de Samantha.

Louise On a dit l’autre jour qu’elle arrivait à moins taper pendant les récrés, alors elle n’a pas besoin de tuteur pendant les récrés.

Ambre Je veux bien être son tuteur, elle me connaît bien et je crois qu’elle m’aime bien. Je suis aussi son ancien chef d’équipe et je crois qu’elle me respecte un peu pour ça. Je veux bien essayer.

La maîtresse Je propose donc si vous êtes d’accord que Ambre soit le tuteur de Samantha.

 

3 mai

 

Louise Samantha va mieux grâce à Ambre et moi, je me sens un peu fatiguée mais je vais assez bien quand même.

 

10 mai

 

Louise L’équipe va bien. Samantha était un peu énervée ce matin mais ça va.

 

 

 

 

24 mai

 

Louise Samantha fait des progrès, elle tape moins grâce à Ambre. Ca m’aide bien et elle s’énerve moins.

Hugo Samantha, des fois elle vient dans l’équipe pour prendre un crayon et ça me gêne.

Louise Alors là, Hugo ! Je fais ce que je peux mais je peux pas faire tout avec Samantha et elle me bat déjà, alors je ne peux pas empêcher tout.

Ambre Ce matin, on est allé dans le coin avec elle et là j’ai l’impression que quand elle s’est calmée, elle m’a parlé et elle était comme une grande. Après, le problème c’est qu’elle était collée à moi mais après, elle a réussi à me décoller.

 

9 juin

 

Louise L’équipe va bien.Samantha va beaucoup mieux et Ambre est un bon tuteur pour elle mais je trouve que je ne peux plus faire assez mon rôle de chef d’équipe avec elle.

Ambre C’est normal, je vois les choses de Samantha beaucoup plus vite que toi.

Louise Oui, je sais, tu le fais très bien mais je trouve que je perds un peu mon rôle.

Ambre C’est parce qu’elle tape beaucoup. Moi aussi je trouve que ça fait beaucoup. Ce matin, j’arrivais pas à lui dire de s’arrêter. C’est pour ça que je dois faire beaucoup et souvent mon rôle de tuteur.

Louise Je le comprends, j’aime pas trop qu’elle tape mais on peut difficilement lui expliquer.

 

14 juin

 

Louise Samantha a continué d’aller bien. Ambre est un bon tuteur, toujours. Pour Samantha, je crois qu’elle va peut être mériter sa blanche. Pour les wc, en tout cas, moi je dirais oui. Elle revient maintenant plus vite et sans faire de mal. Elle fait moins ses colères en tout cas, grâce au tuteur, elle se calme plus vite. Je pense qu’elle va mériter sa blanche.

 

Samantha a été absente toute la semaine passée. Elle est allée une semaine à l’essai dans l’I.M.E qu’elle doit fréquenter à temps plein l’année prochaine.

 

24 juin

 

Louise Samantha, ce n’est pas drôle de la retrouver comme ça. J’aimais pas trop ces deux jours avec elle. Je ne sais pas ce qu’elle a mais elle mefait mal. Ambre ! Est-ce que tu pourrais m’aider un peu plus ?

Ambre Tu sais Louise, c’est pas ma faute mais là ! Même avec moi, ça marche pas et des fois elle me tape. J’y arrive pas. Hier, elle me tapait. Je lui parlais doucement mais j’y arrivais pas, elle tapait.

Lucas H Moi aussi, depuis qu’elle est revenue, c’est bizarre mais elle me tape tout le temps. Elle me tape à la tête, dans le dos.

Jean Je suis bien de leur avis .Avant, elle allait mieux pourtant. Personne le fait ça d’habitude.

Ambre Pour Samantha, Jean, t’étais pas là mais elle avait même poussé la maîtresse et elle m’était tombée dessus

 

Lors du bilan de fin d’année, les progrès de Samantha dans les apprentissages restent insuffisants. Elle réussit, quand elle est calme, à reproduire des modèles en majuscules d’imprimerie et comprend les nombres jusqu’à 5. Elle a réalisé, seule, un album individuel, travail qui lui a demandé de très longs moments de concentration.

Mais cela reste insuffisant pour envisager un maintien en CP.

Nous lui avons fait nos adieux en classe. Elle a pleuré en disant qu’elle ne voulait pas changer d’école. Elle nous a dit aussi qu’elle nous écrirait et qu’elle nous aimait beaucoup. Je n’ai pas pris de notes, ceux qui le souhaitaient lui ont dit un petit mot : je n’ai alors entendu que des paroles d’espoir et de tendresse.

 

La présence que je jugeais souvent difficile de Samantha n’a, pour autant, pas gêné la classe dans les apprentissages : cette année là, chaque élève de CP a appris à lire et plusieurs enfants de GS aussi.

Je note aussi combien les chefs d’équipes me sont apparus irremplaçables : en toute confiance, j’ai pu m’y appuyer, la classe aussi, pour continuer le travail, rester debout. Ils protégeaient les autres enfants de Samantha. Ils la protégeaient aussi de moi lorsque la tension était trop forte entre nous.

Ils étaient alors comme un rappel à la loi, tenace et rassurant.

Je les ai sollicités pour me venir en aide, pour trouver des solutions nouvelles qui me rendaient sa présence plus supportable.

Eux aussi ont dit trouver cela difficile. Louise nous dira sa fatigue mais jamais aucun n’a renoncé à la garder parmi nous, chacun savait que nous devions travailler, progresser et vivre ensemble jusqu’au dernier jour de l’année scolaire. Leurs paroles à son égard, leur attention et cette envie à chaque fois renouvelée de trouver des solutions pour mieux vivre ensemble, soulignaient bien souvent ma propre difficulté à travailler dans la classe avec elle.

 

Réfléchissant ensemble sur la difficulté à travailler avec Samantha dans nos classes, à un an d’intervalle, il nous semble aussi que la prise de notes a pu constituer un recours, jouer le rôle de garde fou.

Les mots posés sur le papier induisaient une distance. Quelque chose qui se dénudait. Les excès de Samantha apparaissaient juxtaposés à nos propres excès. Sa violence et la nôtre…

L’attachement à la classe en quoi peut-il être dit excessif ? La violence qui surgissait de notre part lorsque la classe nous semblait menacée. La classe, notre classe. Ce sentiment fort de propriété, était-ce uniquement un sentiment de responsabilité ?

Est-ce qu’il est possible d’entendre ce qui pourrait en être dit ?

En quoi cela est-il difficile de dire cet excès, même dans les groupes de paroles qui pourtant eux aussi ont joué leur rôle parfois de façon directe, parfois de façon oblique.

Il nous a semblé que ces notes devaient rester comme telles ou presque, un outil de travail. Elles ne devaient pas aller vers une forme trop finie comme une quête identitaire ne pouvant qu’échouer. La recherche d’une forme trop finie semblant aller à l’encontre même de la césure qu’introduit l’écriture.

 

 

Laisser en état ces traces, renvoyant simplement à des failles et non pas à une imaginaire perfection.

 

Martine Plainfossé et Colette Bordas