"Maîtresse, toi aussi tu nous gènes...", les institutions sont pour tous, la maîtresse y compris

Nathanaël a 5 ans et demi et est alors en Grande Section. Il était déjà dans ma classe en Moyenne section.

Il y avait eu pendant deux ans ces colères qui occupaient alors tout l’espace de la classe et dans lesquelles je m’engouffrais : mes bonnes résolutions balayées au moment même de leur mise en pratique par ma propre violence. Quelque chose de fort me tenait à ces colères de Nathanaël, un sauf-conduit pour m’exhiber, moi aussi…

Et le temps passait. Dans ma tête le responsable de tout cela était lui, l’enfant, celui qui me dérangeait, qui me résistait : c’était donc à lui de changer et j’attendais, tout en savourant par avance la nouvelle crise qui ne tardait pas à réapparaître…Un désir de main mise féroce…

Combien de fois a-t-il fallu que j’entende, que je m’entende vraiment, au point d’envisager, sérieusement, honnêtement, que c’était à moi de changer, que j’avais, en tant que responsable de la classe, à pratiquer ce que Jean Oury nomme une asepsie, une place à nettoyer pour qu’autre chose que cette répétition survienne.

Il a fallu que ma mauvaise foi devienne insoutenable, poussée par ce que j’entendais dans des monographies, dans des rencontres (le ton de La Borde) pour ce que la personne ne voulait pas faire, l’institutrice le fasse, poussée par les institutions.

J’avais alors institué un temps pour parler de tout cela, le mardi à 12 h 30. C’était « la réunion pour parler de Nathanaël ». Celui-ci prenait soin de vérifier le matin, lors de la présentation de l’emploi du temps, qu’elle était bien inscrite. Sinon il me le rappelait.

Etaient présents : Ysilde, son tuteur, Gaëtan, responsable alors de l’équipe dans laquelle travaillait Nathanaël, Sacha qui intervenait dès qu’une colère montait et tentait de l’apaiser à voix basse, le maître de l’autre classe avec qui Nathanaël aimait jouer au foot lors des récréations, et moi-même.

Rien de spectaculaire dans les décisions prises. Leurs idées : ils demandaient essentiellement que je les laisse intervenir dans ce qui relevait être de leurs responsabilités, d’autant que je doutais de leur action, faire aussi un calendrier des colères de Nathanaël, le féliciter lorsque celles-ci s’espaçaient.

Mais aussi, nommer pour moi deux tuteurs, mes colères étant aussi gênantes que celles de Nathanaël, m’avaient-ils fait remarquer…

L’essentiel semblait, aux yeux de Nathanaël, que ces moments aient lieu : « Il y a aujourd’hui la réunion pour parler de moi… », et, rajoutait-il, puisque cela avait été défini ainsi, « S’il y a besoin, vous pouvez me dire de venir ».

Le soir, Gaëtan et lui faisaient le bilan de la journée. Gaëtan le notait sur le calendrier des colères : «  Des colères, une colère, zéro colère ». Dispositif presque minimaliste qui, pourtant, produisit progressivement des effets : les colères s’espaçaient, celles de Nathanaël, les miennes aussi. Je m’efforçais avec l’aide de mes deux tuteurs de ne pas aller y voir de trop près. Cela souvent me coûtait : c’était terrible d’être aussi accrochée par des détails aussi insignifiants en apparence !

Nathanaël, septembre de l’année suivante, est alors en C.P. dans l’école primaire qui jouxte notre école. Je ne le voyais guère en ce début d’année venir au grillage comme tant d’autres pour, à la fois, prendre et donner des nouvelles. Puis un jour, il me fit appeler à la fois souriant et sérieux.

«  Tu te souviens quand je faisais des colères, l’année dernière ? ». Je ne pouvais l’avoir oublié.

«  Tu te souviens, le dernier jour…après je suis parti en vacances, mais il y avait encore de l’école après… »

Oui, je me souvenais : ce dernier jour pour Nathanaël, trois jours avant la fin officielle, j’avais alors proposé que nous fassions tous ensemble la réunion que nous faisions habituellement à cinq. Sacha, Ysilde, Gaëtan, tuteurs ou responsables d’équipe, l’avaient félicité : il n’avait plus ces colères qui gênaient profondément la classe. Beaucoup d’autres enfants s’étaient associés à ces remarques.

Nathanaël nous avait écoutés, silencieux, tête baissée, concentré sur ce que chacun lui disait et il nous avait simplement dit : «  Je suis content ».

Il était parti apaisé. Et ce jour de septembre, je lisais quelque chose de cette paix, sur son visage.

 

Martine Plainfossé. 16. Chassors.