De l'importance des classes hétérogènes

Amandine a eu 3 ans en décembre. Toute petite, elle ne parle pas mais gazouille, court partout et ne tient guère compte de nos remarques lorsqu’elle vide, pêle-mêle, étagères et boîtes de jeux.

Teddy vient d’avoir 6 ans. Il est responsable de l’équipe où se trouve Amandine et propose de veiller sur elle, lui qui a tant de mal à se stabiliser.

Il constate quelques réunions de responsables d’équipes, plus tard :

« Moi j’aide Amandine mais Amandine m’aide aussi : quand elle est là j’ai moins de barres de gêneur puisque je m’occupe d’elle. C’est vrai ! Je ne peux pas faire le fou quand je m’occupe d’elle ! ».

Quelques mois plus tard, Amandine parle toujours très peu mais elle cherche à faire un métier et le manifeste à sa manière en allant donner de l’aide, de droite et de gauche, maladroitement. Elle ne comprend pas bien sans doute ce qui se passe à ce moment mais elle voit chacun vaquer puis se faire payer. Déjà plusieurs fois, elle a subtilisé les boîtes de pièces d’or (notre monnaie) de ses voisins. Elle considère le marché avec attention et me réclame à sa manière, une participation.

Lors d’un Conseil, je propose à Roman, enfant en grande difficulté relationnelle, de lui apprendre un métier. Je déciderai de prendre son mutisme pour une acceptation. Il lui apprendra à faire le nettoyage des ardoises : rechercher celles qui sont salies, les emporter dans l’atelier voisin, trouver des éponges, du produit, puis ranger, tout cela en le lui expliquant.

Le Conseil eut lieu l’avant-dernier vendredi avant les vacances. Pendant toute la semaine qui suivit, Roman apporta son aide à Amandine, lui parlant et rouspétant quand elle ne voulait pas venir. Le lundi de la rentrée qui suit ces mêmes vacances, il reprend aussitôt son aide. Un sourire lui vient parfois au visage, il s’anime et prend la parole. Il intervient pour la première fois, face à tous lors d’un bilan pour commenter cet apprentissage.

Dans le même temps, il accepte d’aider David au métier de la lecture de l’emploi du temps : il est en moyenne section mais il sait lire parfaitement. Je lui avais proposé à plusieurs reprises ce métier mais il avait toujours refusé se réfugiant dans les métiers les plus insignifiants possible.

Je les regarde : David désireux de lire mais toujours inquiet de se tromper, s’appuyant sur Roman, lui rappelant de venir s’asseoir à côté de lui et échangeant à voix basse. Je m’oblige à laisser faire des silences dans lesquels, je le sais, l’un attend l’aide de l’autre.

Et Roman se prend peu à peu au « jeu » : à voix très basse, il indique les mots que David ne sait encore lire seul. Le sourire apparaît de plus en plus souvent sur son visage et il répond de façon précise aux sollicitations de David. Il me semble même les attendre.

Amandine sait maintenant faire son métier : elle le fait chaque soir.

Aujourd’hui, en ce début mai, elle a demandé pour la première fois la parole lors du Quoi de Neuf, nous avons cru comprendre qu’il s’agissait d’un « bébé » et d’une « maman ». Roman lui aussi a pris la parole pour la première fois, « un rêve » a-t-il dit.

Présence positive, presque invisible d’Amandine qui, sans le savoir bien sûr, induit un espacement différent et oblige ainsi à une modification des rapports de ces grands qui s’intègrent tout en l’intégrant dans notre espace commun.

Présence ténue, toute d’oblique vêtue qui oblige au travail en silence…

 

Martine Plainfossé, 2007 Chassors, Charente